Nouvelle théorie monétaire libérale et utopique

Sylvain Poirier Sylvain.Poirier@ujf-grenoble.fr
Wed, 02 Jun 1999 12:11:58 +0200


1. Introduction

Je n'ai pas fait d'études d'économie. Je m'y suis intéressé au cours
de mon adolescence car je manquais de théories mathématiques sur
lesquelles méditer. J'ai progressivement formé mon opinion seul, à
force de réflexions. De façon naturelle j'ai adopté l'approche
libérale, comme étant la seule manière de penser la théorie qui soit
véritablement logique. (j'ai bien dit : LA THEORIE. C'est-à-dire un
aspect de la réalité, qui n'est pas tout mais qui doit à mon sens
être traité indépendamment du reste). Le fait que d'autres mouvements
de pensée tenaient une place importante dans le monde m'intriguait.
Notamment le marxisme : pour en savoir plus, j'ai lu le Traité
d'Economie Marxiste d'Ernest Mandel, pour essayer de comprendre
comment il était possible que des hommes ayant fait des études en
soient arrivés à ce non-sens, cette absurdité qui se faisait passer
pour une pensée, pire, pour la pensée des intellectuels. Leur
description des "crises périodiques" m'a amené à prendre conscience
des dificultés du problème général de la stabilité monétaire, avec
les phénomènes de surproduction ou au contraire d'hyperinflation.
Alors je me suis notamment attaqué à ce problème. Vers la classe de
terminale, j'ai abouti à l'idée de la solution mais ma tentative de
l'expliquer à ma prof d'économie a échoué. 

Puisque j'avais trouvé la solution, il n'y avait aucun intérêt pour
moi à étudier les montagnes d'erreurs accumulées par les économistes
depuis si longtemps, et encore moins à me disputer avec des gens qui
prétendent savoir parce qu'ils ont fait des études et qu'ils n'ont
pas la patience de suivre mon raisonnement dans sa globalité avant de
juger le début (Car le fondement du début se trouvait à la fin, ou
plus précisément dans le fait que l'objectif énoncé au début
admettait réellement une solution décrite ensuite). A l'époque, je
présentais cela en disant d'entrée de jeu qu'une baisse des taux
d'intérêts devait entraîner une baisse de l'inflation, et je compris
plus tard pourquoi cela passait si mal. J'ai donc laissé tomber
l'économie pour faire des maths (ce qui est beaucoup plus riche en
idées et en cohérence que l'économie). Enfin je me suis mis récemment
à écrire mes conclusions. Les voici, au cas où cela intéresserait
tout de même des gens...

Je ne vais pas expliquer tous les détails des raisonnements, mais
dresser une bonne ébauche de mes conclusions avec les principales
articulations. Je ne prétends pas convaincre qui que ce soit. Je n'ai
presque rien lu comme livres d'économie, et n'ai pas l'intention de
m'y mettre. Je présente les idées essentielles sans pinailler avec
d'inutiles détails qui embrouillent les véritables questions sous
prétexte de rigueur. Inutile donc de me signaler que mes équations ne
seraient pas "exactes". Je le sais très bien et m'en fiche
éperdument; ce sera parfois un simple problème de définition. Je
raisonne suivant mes définitions à moi. 

A mon avis, les causes de la crise actuelle se répartissent grosso
modo en trois catégories: 

1) La lourdeur des administrations, des règlementations (formalités à
remplir, contraintes pesant sur le marché du travail), et des impots
(en partie dus aux gaspillages et aux abus. Je remarque également le
cout excessif de l'armée qui n'est pas une chose aussi vitale que
l'éducation, la justice et la santé). A cela il faut ajouter (mais
cela n'est pas nouveau) le phénomène général des monopoles gênant la
libre concurrence, suivant lequel les grandes entreprises sont
avantagées par rapport aux petites pour des raisons bassement
commerciales... 

2) Les défauts du système éducatif, que la croissance économique a
rendu indispensable: manque de liberté dans ce domaine, mauvaise
adaptation aux contraintes du marché du travail, et particulièrement
une mauvaise orientation des étudiants qui ne sont pas suffisamment
responsabilisés au sujet de leur avenir (manque d'informations sur
les débouchés). 

3) L'endettement généralisé (surout de l'Etat), autrement dit l'excès
de la consommation. 

Les deux premières causes sont locales à chaque pays, tandis que la
troisième agit sur le plan mondial sauf bien sûr en ce qui concerne
le poids des intérêts à payer. 

Je ne développerai pas ici les deux premiers points, qui sont des
problèmes de société. Je m'exprimerai au sujet de la sociéte une
autre fois, dans fr.soc.alternatives (je viens en effet d'avoir une
idée sur la société, mais sans rapport avec les problèmes ci-dessus.
Ce sera une forme de mise en pratique des principes que j'ai exprimés
dans http://www-fourier.ujf-grenoble.fr/~spoirier/citoyen.html .)

Je développerai ici le 3), car c'est là un problème de nature
mathématique. Depuis Keynes, tout le monde dit que c'est la
consommation qui fait marcher l'économie. Je pense tout le contraire,
et c'est ce que je vais expliquer. 

Commençons par un petit rappel historique. 

La naissance du keynésianisme

Dans les années 1920, le monde semblait prospère, et les valeurs
boursières montaient rapidement: c'était une bulle financière. Les
gens achetaient des actions car ils voyaient leurs valeurs monter, et
ce sont ces achats qui faisaient monter leurs valeurs, mais cela ne
correspondait à aucune valeur réelle. Ainsi beaucoup de gens se
croyaient riches parce qu'ils possédaient beaucoup d'actions, ou
qu'ils avaient de bons placements dans des banques ayant massivement
investi dans la spéculation. En 1929, patatras. La bulle éclate. Les
gens s'apercoivent enfin que les valeurs réelles des actions étaient
très inférieures à leurs cours, qui se met à chuter brutalement.
Beaucoup de gens sont alors ruinés. Et quand on est ruiné, on se met
brusquement à diminuer la consommation. La consommation diminue
brusquement, la production n'a pas le temps de s'adapter: c'est la
crise de surproduction. Les prix chutent. Alors Keynes arriva, et
dit: "Relançons la consommation". Ainsi, puisque la production,
depuis longtemps adaptée à une forte consommation, ne s'est pas
adaptée à la brusque diminution de celle-ci, on décida de réaugmenter
la consommation pour l'adapter à la production. Le bilan de cette
décision fut positif, et porta aux nues la théorie de Keynes. 

2. Les principales quantités qui entrent en jeu

Le patrimoine

D'abord, une précision: à mon avis, le concept de masse monétaire est
vide de sens. Ainsi, lorsqu'une entreprise contracte un emprunt
auprès d'une banque mais que cette somme n'a pas encore été dépensée
(elle reste sur le compte chèque dans cette banque), on dit qu'il y a
eu création monétaire. Mais c'est absurde, car en réalité il ne s'est
rien passé ! 

Soit R la somme des richesses réelles présentes dans l'économie et
ayant (plus ou moins) une valeur marchande. Par exemple, les
batiments (logements et bureaux), les machines et outils, les stocks,
les brevets, et les compétences acquises par les études qui ont une
valeur sur le marché du travail. (pour donner encore un exemple: en
principe, la richesse réelle présente dans une société par actions
doit être égale à la somme de sa valeur boursière et de ses dettes,
sauf en cas de bulle financière.) 

Les titres de propriété

Soit S la somme des titres de propriétés des richesses. Par exemple,
les comptes épargne et les actions sont comptés positivement, et les
dettes négativement. Par définition, ces titres sont possédés par des
particuliers. Ainsi S est la somme sur les individus des richesses
que ces individus semblent posséder. 

A première vue, R et S devraient être à peu près égaux. En fait, R
est généralement inférieur à S. Voici plusieurs formes possibles de
cette différence: 

- La bulle financière. Par nature, cette forme de différence ne peut
subsister durablement car sa raison d'etre est de croitre
exponentiellement jusqu'à être trop grosse et éclater. Mais à force
de constater cela les gens se méfient, donc les bulles ne grossissent
pas, donc à notre époque cela n'est pas une cause importante de
différence entre R et S (contrairement aux années 1920) 

- Les bons du Trésor 

- la monnaie (pièces et billets)

- Le droit à la retraite dans un système de retraites par
répartition. 

- A l'inverse, les propriétés des Etats leur rapportant de l'argent
constituent une forme de différence dans le sens contraire. 

On remarque que lorsque R est inférieur à S, il faudra bien tot ou
tard qu'il y ait des gens pour payer la différence (respectivement :
les gens ruinés à la Bourse en 1929 ; les contribuables ; ceux qui
voient leur argent de poche ne pas rapporter d'intérêts, et bientot,
ceux, on ne sait qui, peut-être tout le monde, qui paieront la
facture du papy boom). Ce sont donc des débiteurs qui s'ignorent.
Ainsi, la seule de ces deux quantités (R et S) qui a une existence
réelle est R. La quantité S n'est donc qu'un leurre trompant les gens
sur le montant de leur patrimoine et agissant par là sur le niveau de
leur consommation. 

Les grands flux économiques: production, travail, consommation

Voyons maintenant la dynamique de l'économie. 

Soient P la production, T le travail, C la consommation. Ici T est un
paramètre abstrait (pas vraiment mathématique), non relié à sa valeur
monétaire (en gros c'est la somme des heures de travail par an
pondérées par leur niveau de qualification). D'autre part, soit H le
niveau de revenu du travail (en gros, son salaire horaire, tel que le
produit T.H soit la somme monétaire totale du revenu du travail). Par
définition, on pose que P est aussi égal au revenu, car lorsqu'une
richesse est produite, elle enrichit d'abord des gens. Puis elle est
éventuellement consommée. 

Ainsi on a: 

dR/dt=P-C 

Ceci peut s'interpréter de deux manières. D'une part, on peut dire
que la variation de la somme des richesses existantes est la somme
des richesses produites, moins la somme des richesses consommées.
D'autre part, la variation du patrimoine de chaque ménage vaut son
revenu moins l'argent dépensé. 

A chaque instant, on peut considérer que P est une fonction des
variables T et R. On a la formule: 

H=dP/dT (dérivée partielle de P par rapport à T, pour un temps fixé) 

car un patron embauchera un employé de plus si et seulement si
l'augmentation du chiffre d'affaires qui s'en suit est supérieur au
coût de cet employé. De même avec le revenu du capital: en notant X
le taux d'intérêts réel, la somme des revenus du capital vaut R.X et
on a 

X=dP/dR (dérivée partielle de P par rapport à R) 

en sorte que le revenu total soit 

R.X+T.H=P 

Ainsi, P apparaît comme une fonction homogène de degré 1 en (T, R). 

Influence de R sur la situation économique.

Utilisons à présent les formules ci-dessus pour voir l'effet de R
(qui est le stock d'épargne) sur la situation économique. 

La formule X=dP/dR, avec le fait que le taux d'intérêts réel est
positif, montre que la production réagit positivement à l'épargne:
plus les stocks d'épargne (ou capitaux) sont élevés, plus la
production est importante. Or la production est égale au revenu par
définition, et le revenu se répartit entre revenu du capital et
revenu du travail. Précisons comment cette répartition évolue avec
l'épargne. 

On vérifie facilement que la fonction P(R,T) est concave, ainsi le
revenu du travail augmente avec R . En effet, lorsque l'épargne
augmente, l'investissement augmentera de la même manière. C'est donc
que, quelque part, il aura été encouragé par un taux d'intérêts plus
faible. Pour le dire encore autrement: les capitaux étant plus
nombreux se concurrencent plus fortement dans leurs offres d'emploi. 

Cela entraîne une augmentation du niveau de l'emploi et/ou du niveau
des salaires. A cela s'ajoute un autre effet: les taux d'intétêt
réels plus bas favorisent dans les entreprises, les objectifs à long
terme par rapport à ceux à court terme. Par conséquent, ils
favorisent la croissance de manière durable. 

En conclusion, un niveau d'épargne plus élevé entraîne à la fois une
production plus importante, un niveau des salaires et/ou de l'emploi
plus élevé, et une croissance plus forte. Et rappelons-le, l'épargne
est le contraire de la consommation: 

dR/dt=P-C 

3. Digression sur le phénomène des monopoles

Il ne serait pas exact de dire qu'une épargne élevée n'a que des
avantages. En effet, un niveau faible du taux d'intérêts réels
entraîne la nécessité d'une prise de décisions à long termes pour les
entreprises, mais aussi une plus grande instabilité des valeurs
boursières les unes par rapport aux autres, car la valeur d'une
action dépend alors plus fortement des bénéfices à long terme plus
difficiles à prévoir. De plus, ces bénéfices futurs risquent de
dépendre de circonstances sans rapport avec les mérites actuels de
l'entreprise, particulièrement ce qui concerne le phénomène des
profits monopolistiques qui est une chose injuste. 

A l'inverse, si l'épargne est faible, le phénomène des monopoles se
trouve facilité de la manière suivante: si quelques personnes ont une
énorme fortune, le niveau élevé des taux d'intérêts réels leur permet
d'accroitre cette fortune par simple capitalisation, et donc
d'acquérir un pouvoir énorme. Mais la bonne réplique à cela serait
plutôt de les concurrencer en favorisant l'épargne et en diminuant
les dettes publiques. (Je me demande par conséquent si l'idéologie de
la relance par la consommation ne serait pas un stratagème pour
accroître les inégalités sociales et le pouvoir des milliardaires
contre des Etats qui s'affaiblissent...)

Ainsi donc, qu'il soit facilité par une faible épargne ou "encouragé"
dans le cas d'une forte épargne, le phénomène des monopoles, parasite
naturel de l'économie de libre concurrence, subsiste et doit être
sans cesse endigué. 

Voici à présent quelques idées pour lutter contre les profits
monopolistiques (cela par contre je n'y ai pensé que récemment).

D'abord, on peut bien sûr d'abord promouvoir des logiciels libres.
Puis, mener une réflexion approfondie sur le système des brevets: il
ne me parait pas très bon de réserver le droit d'utilisation de
certaines découvertes à des entreprises uniques, on devrait favoriser
la vente des brevets à un nombre illimité d'entreprises, et réfléchir
sur la justesse des profits liés à la vente des brevets lorsqu'ils
s'avèrent énormes, du style: "Si Untel n'avait pas découvert (ou
inventé) ça, de toute façon d'autres l'auraient découvert (ou
auraient inventé quelque chose de semblable) l'année suivante". 

Autre idée : on sait que le phénomène de monopole s'appuie sur
l'existence de coûts fixes, qui font qu'il est plus rentable (au
niveau du coût réel total de production) de faire faire la production
à une entreprise plutôt que plusieurs. Mais on pourrait réfléchir aux
moyens de ruser pour avoir le beurre et l'argent du beurre, je veux
dire réaliser les économies de coûts du fait qu'une seule entreprise
fait le travail, mais avec les avantages d'un marché de concurrence.
L'idée en est de développer le principe du marché à terme (car la
méthode scandaleuse du dumping repose sur le fait que le prix n'est
pas fixé à l'avance, mais se décide ensuite en fonction de la
présence ou non de concurrents). Et si le client n'est pas bien
identifié, on peut faire intervenir à sa place des associations de
consommateurs. Cette idée de généraliser la notion de marché à terme
serait à développer.

Concrètement par exemple, imaginons qu'un Etat ait besoin d'une
entreprise pour mettre en place un réseau d'infrastructures ou de
communications téléphoniques (au hasard, la Yougoslavie). Il fera
alors un appel d'offres, avec des exigences précises et publiquement
déclarées sur l'étendue et la qualité de la production (du service) à
fournir (la définition de cette qualité pouvant être soumise à un
débât public et à la critique des associations de consommateurs ; un
tel raisonnement ne pourrait probablement pas s'appliquer hélas aux
domaines où la qualité du résultat est très mal définissable avant sa
réalisation, comme le domaine des logiciels). Alors les entreprises
devront faire leurs offres aux enchères publiquement, et celle qui
présentera le tarif le plus avantageux (en coût pour l'Etat ou pour
les utilisateurs) emportera le contrat. Une fois les enchères
terminées et le contrat obtenu, la concurrence sera proscrite pour
l'intervalle de temps convenu au départ, mais l'entreprise ayant ce
contrat devra s'y conformer, sans réaugmenter son tarif malgré une
hausse de coût "imprévue" (et en prévention d'un tel risque,
l'entreprise devra avoir souscrit une assurance ou présenté
suffisamment de garanties).

4. Le trou dans la théorie classique

Le raisonnement plus haut réfute de manière flagrante toute cette
idéologie du bénéfice de la consommation dont on nous rabat les
oreilles depuis des décénies: comment peut-on croire que l'économie
se portera mieux si on lui suce toutes ses forces vives qui sont ses
richesses en outils, batiments, brevets et tout le reste, avec
lesquelles elle travaille ? C'est bien le traumatisme provoqué par la
"crise de surproduction" des années 30 qui a ainsi dégradé l'esprit
de la plupart des gens, les empêchant de raisonner sainement et de
percevoir les évidences. 

Afin d'exorciser les vieux démons, nous allons ici donner une
explication détaillée de cette crise. 

Comment donc le monde est-il ainsi tombé sur la tête ? Cette crise
est un phénomène profondément illogique. Comme je disais, il y a une
seule manière logique de réfléchir à la théorie économique, c'est
celle du libéralisme, à savoir que l'économie doit principalement
s'autoréguler par le marché et la concurrence (dans un cadre
législatif convenablement fixé). Ici, laissons de côté ce qui
concerne le phénomène des monopoles qui fausse la concurrence. 

Seulement, les économistes libéraux n'ont pas fait correctement leur
travail. Ils ont contemplé les mécanismes d'autorégulation qu'ils
pouvaient observer, et ont conclu qu'il fallait les favoriser. Ils
auraient dû s'apercevoir que l'ensemble des mécanismes qu'ils avaient
observé ne formait pas un tout cohérent. Trop confiants dans les
mécanismes d'auto-régulation, ils se sont contentés de dire "laissez
faire", alors qu'ils auraient dû prévenir le danger et inventer et
faire mettre en oeuvre un nouveau mécanisme d'autorégulation (comme
décrit plus bas) afin de boucher le trou dans la logique de
l'économie. Alors, ce trou s'est agrandi et le monde est tombé
dedans. 

Quel est donc ce trou ? Il tient à la définition même de la monnaie. 

Partons de la définition première de la monnaie, l'idée de base par
laquelle elle s'est substituée au troc: c'est une unité de mesure qui
permet de comparer en termes numériques les valeurs des différents
objets sur le marché. Comme beaucoup d'unités de mesure en physique,
ce choix d'unités est arbitraire. D'ailleurs il varie d'un pays à
l'autre (les francs se convertissent en pesetas ou en dollars comme
les mètres se convertissent en pieds ou en miles...). Mais peut-on
définir cette unité dans l'absolu, comme le mètre a été défini au
moyen de l'atome de Césium ? Non, cela n'aurait aucun intérêt. De
toute façon, la valeur de la monnaie est assez subjective. (Tout ce
qu'on peut faire, c'est comparer les monnaies entre elles sur le
marché des changes). 

Il semblerait donc ne pas y avoir de niveau des prix qui soit un
"niveau d'équilibre" dans l'absolu, mais tous peuvent l'être, il
suffit de faire la conversion. 

Voyons maintenant une autre question: le niveau des prix peut-il
aussi varier indifféremment AU COURS DU TEMPS ? 

Si tous les échanges étaient instantanés, la monnaie servant
d'intermédiaire au cours d'une journée pour vendre et acheter en une
forme de troc évoluée, il n'y aurait pas de problème. Mais il n'en
est pas ainsi: on vend un jour pour faire des achats d'autres jours,
voire des années après. Quelqu'un qui vend fixe un prix dont il
estime que cette somme "vaut" au moins l'objet vendu. Mais comme il
n'utilise pas immédiatement cet argent pour acheter, son bénéfice
réel dépend en fait de l'évolution à venir du niveau des prix. Or,
l'hypothèse de la "concurrence pure et parfaite" sur laquelle le
libéralisme est fondé suppose que chacun connaisse la valeur de la
monnaire échangée. Mais la valeur réelle de la monnaie à un instant t
est déterminée par sa valeur d'échange (le niveau des prix) à
l'instant suivant t'. Plus précisément, si on compare deux scénarios
A et B qui diffèrent à l'instant t' par le niveau des prix x fois
plus élevé pour B que pour A, alors le niveau que les prix
"devraient" avoir à l'instant t est également x fois plus élevé pour
B que pour A, pour correspondre à la valeur réelle de la monnaie. 

Le hic, c'est que lorsqu'on découvre à l'instant t' quel est
effectivement le niveau des prix, il est trop tard pour modifier le
prix de l'échange qu'on avait effectué à l'instant t. 

Ainsi on voit que globalement ("en dehors du temps"), il n'y a qu'une
seule évolution possible du niveau des prix qui soit un scénario
vraiment d'équilibre: celle qui est en accord avec la moyenne de ce
que les gens ont prévu. 

Plus concrètement, au niveau de l'histoire, le premier problème était
de prévoir le niveau des prix à l'avenir, et qu'une monnaie ne puisse
pas être brusquement déclarée sans valeur au gré des conquètes et des
révolutions politiques. Face à ce problème, la solution adoptée était
la monnaie en or ou en argent. En effet, l'or avait une valeur
intrinsèque (artistique ou autre), et il était impossible à
reproduire (sauf en découvrant des mines d'or: ainsi les chercheurs
d'or seraient comparables à des faussaires...) Ainsi, tous pouvaient,
consciemment ou non, faire ce raisonnement approximatif: dans
quelques années, les gens dans le monde auront besoin de telle valeur
monétaire en or pour le marché. Or la masse d'or monétaire mondiale
sera de tel montant, donc on en déduit la valeur réelle future d'un
gramme d'or sur le marché. Ainsi, le niveau des prix était
prévisible, et son évolution aussi. Seulement, cette évolution
prévisible était différente de l'évolution d'équilibre définie plus
haut. La différence entre les deux, à peu près prévisible, força les
hommes à instituer une autre monnaie, définie au moyen de la
première: le placement avec un taux d'intérêts. 

Ainsi s'établit un certain équilibre, car le placement était gagnant
par rapport à la monnaie or: en effet ceux qui possédaient de l'or
avaient intérêt à le placer, car l'or se dépréciait par rapport au
placement. 

Mais, progressivement, on remplaça l'or par une monnaie
conventionnelle en papier. En soi, l'idée était bonne, car il était
préférable de rendre l'or à son utilité réelle (artistique et autre).
Mais en quittant son rôle de régulateur du niveau des prix, il laissa
là un grand vide. Plus aucune contrainte physique ne guidait le
niveau des prix qui flottait désormais en apesanteur, ou parfois
pire: en équilibre instable, car les fluctuations des prix imaginées
pouvaient se réaliser rapidement par anticipation, à moins que le
taux d'intérêts nominal, courant après, ne parvienne à les rattraper.

Précisons un peu ce qui se passe lors d'une variation imprévue du
niveau des prix: pour avoir un taux réel correspondant à l'équilibre,
on a choisi le taux nominal en fonction de la valeur prévue de
l'inflation. Mais celle-ci ayant finalement une valeur différente, le
taux réel effectif se trouve différent du taux réel d'équilibre: par
exemple, si les prix baissent plus que prévu, ceux qui ont des
placement s'enrichissent injustement par rapport à ceux qui ont
emprunté (entreprises notamment). (Une fois ce transfert de propriété
réelle effectué, la somme des richesses de la société est la même
donc il n'y a ni plus ni moins de raison qu'il y ait équilibre
monétaire à l'instant d'après) 

Pour respecter les contrats, on obéit au taux d'intérêts suivant la
lettre (le taux nominal) et non suivant l'esprit (le taux réel prévu
par les signataires): ce système est absurde ! 

La crise de surproduction

Maintenant, nous pouvons expliquer la crise de surproduction du type
de celle des années 30. La production industrielle se répartissait
naturellement en deux parties: d'une part, la production des biens de
consommation, d'autre part celle des biens de production (achetés par
les entreprises qui investissent). 

Brusquement, la consommation baissa de manière imprévue. Il aurait
été logique que la production se réoriente alors vers les biens de
production, pour alimenter les investissement qui devaient répondre à
la hausse de l'épargne. Malheureusement, il est généralement très
difficile de reconvertir ainsi brusquement toute une usine. Par
conséquent, pour des motifs d'amortissement, on continua à fabriquer
des biens de consommation en surplus, et ce fut le déséquilibre.
Ainsi les prix des biens de consommation chuta. 

D'un côté, il était normal que les usines de biens de consommation
fassent des pertes, car elles étaient en surnombre pour les besoins
de l'économie. De l'autre, il eût été normal que celles de biens de
production fassent du profit, et investissent plus que jamais. Mais,
lorsque les dirigeants de ces dernières ont vu les prix à la
consommation chuter et les investissements des usines de biens de
consommation (qui constituaient une bonne part de leurs débouchés)
bloquées, leurs esprits ont défailli et ils ont tout laissé tomber.
Là est la faille : lorsque les débouchés extérieurs chutent ainsi que
les prix à la consommation pendant une période, il est a priori
difficile pour l'ensemble des dirigeants d'entreprises de biens de
production, de se persuader qu'ils vont ensemble investir au point de
créer eux-mêmes leurs débouchés avantageusement sans chute de prix,
justifiant ces investissements. 

Ainsi, tous les investissements chutèrent, et les prix et les emplois
avec eux. Or, le taux réel d'équilibre aurait été bas, pour inciter à
l'investissement. Ce qui donne, avec: taux nominal=taux réel +
inflation, l'inflation étant très négative, une valeur négative du
taux nominal. Ainsi, le taux nominal qui courait après l'inflation a
heurté violemment la barrière du zéro, et le système bancaire a
explosé (au cas où le krach boursier ne l'avait pas déjà achevé). 

Bilan: nous ne sommes pas (encore) en surproduction. D'après la
description que nous venons de faire du mécanisme de la crise de
surproduction, nous pouvons dire que la crise économique des
dernières décennies ne rentre pas dans ce cadre. Autrement dit, la
raison pour laquelle une hausse de la consommation pouvait au cours
des années 30 relancer l'économie et diminuer le chômage, ne
s'applique plus. En effet, la surproduction se caractérise par une
production supérieure à la demande, tandis que tout le monde répète
que la production s'adapte à la demande. Et les prix ne sont pas en
chute libre. Ainsi, il semblerait que se soit installé un système de
bidouilles réalisant en pratique un équilibre monétaire suffisant.
Avec quelle fiabilité ? L'avenir nous le dira. En effet, la situation
actuelle porte les germes d'une nouvelle crise de surproduction
importante dans les années à venir (voir plus bas). 

5. Comment on pourrait auto-réguler la monnaie

Mais voici d'abord l'aperçu d'un véritable mécanisme d'autorégulation
possible de la monnaie.

Commençons par une bonne définition de la monnaie. 

Définition: Une monnaie est un contrat entre l'ensemble des
épargnants (possédant une somme monétaire positive), et l'ensemble
des personnes endettées (qui possédent la contrepartie négative de
cette somme, autant que possible compensée par des richesses réelles
au moins équivalentes: autrement dit que ces emprunts soient des
investissements). L'objet de ce contrat est la valeur réelle à venir
de l'unité de cette monnaie. Cette valeur réelle doit s'exprimer en
fonction des richesses réelles qui seront alors disponibles
(marchandises consommables, services, valeurs des entreprises...). 

Remarquons que l'indice boursier est souvent un assez bon témoin des
fluctuations monétaires: d'après la définition ci-dessus, il devrait
être stable (par définition si on prend comme "valeur réelle" de
référence pour la monnaie, la valeur des entreprises cotées en Bourse
; les cours des actions gardant une évolution brownienne seulement
les unes par rapport aux autres et non pas dans leur moyenne), donc
s'il ne l'est pas c'est que la monnaie manque de stabilité.
Seulement, il n'y a pas que les sociétés cotées en bourse dans
l'économie: il y en a d'autres plus petites dont on peut
difficilement estimer la valeur car elles s'échangent peu. Mais on
peut tout de même l'estimer d'après ce qui entre et sort, au moyen
des marchés à terme (en regardant l'évolution des prix à terme d'un
même objet pour une même date), afin de faire une moyenne de tout. 

Remarquons que le marché des capitaux pourra alors s'effacer dans les
conventions pour devenir implicite. Il y a essentiellement trois
véritables raisons d'être (ou plus précisément d'être visible) des
taux d'intérêts et des banques: 
- La mise à disposition des moyens de paiement (billets, chèques,
cartes bleues...), 
- Le prélèvement de l'impôt sur le capital (particulièrement élevé
dans le cas d'une somme non placée, car c'est alors la totalité du
taux d'intérêts qui est alors implicitement prélevée; je ne sais pas
ce qui se fait mais je remarque que c'est par rapport au taux
d'intérêts réel que le revenu du capital doit être défini, et non par
rapport au taux d'intérêts nominal), 
- La gestion des garanties lors des emprunts (qui sont les masses
monétaires négatives): ce dernier rôle s'apparente à celui d'une
compagnie d'assurance qui demande à minimiser les risques. 

Voici à présent l'ébauche de solution. Puisqu'elle n'est intéressante
à envisager que pour l'avenir, laissons-la s'appuyer sur le réseau
Internet. 

Puisque le mécanisme naturel est que l'évolution future attendue du
niveau des prix influe par anticipation sur son évolution présente,
il faut donc faire rétroagir correctement l'évolution présente sur
l'anticipation pour l'avenir. Voici comment. 

Le contrat social de la monnaie consistera en un algorithme sur
lequel on se sera mis d'accord. Cet algorithme observera en entrée
l'indice boursier et les différents prix des biens et services (à peu
près tout ce qui s'échange), et leurs marchés à terme respectifs
(tout marché à terme, pour être validé par la loi, devra être donné
en entrée à cet algorithme). En sortie, cet algorithme publiera en
permanence un indicateur global visible par tous, qui stabilisera les
esprits des acteurs économiques en leur indiquant l'évolution à
attendre de la "moyenne" de toutes ces valeurs. 

Alors, de deux choses l'une : ou bien les acteurs dans leur majorité
(en poids financier) feront confiance à cet indicateur, alors il
restera stable à de petites variations près, et les quelques-uns qui
ne lui auront pas fait confiance y perdront leurs plumes car il
réagira en sens contraire de ces mauvaises anticipations) ; ou bien
les acteurs dans leur majorité ne lui feront pas confiance, alors cet
indicateur explosera dans un sens ou dans l'autre. Pour empêcher que
cela n'arrive, l'Etat doit laisser planer la menace d'actes de
rétorsion appropriés en cas d'explosion de l'indicateur (peut-etre
des actes purement monétaires du style des actes de modification des
taux d'intérêts servant actuellement à stabiliser la monnaie, ou bien
par des modifications des dépenses ou investissements de l'Etat, ou
encore des interventions sur le marché des changes avec les monnaies
étrangères). 

Il reste à savoir si les spéculateurs auraient vraiment envie de voir
se stabiliser l'indice boursier ! 

6. Conclusion: relance ou austérité ?

Dans la suite, nous appellerons "relance" le fait pour l'Etat de
dépenser plus, au-delà de ce qui peut être considéré comme des
investissements rentables. Et nous appellerons "austérité" le
contraire de cela. Faisons une première remarque: décider une
politique de relance à une époque, c'est décider une politique
d'austérité plus importante pour une époque ultérieure et
inversement, car une dépense supplémentaire laisse une dette à
rembourser avec des intérêts. Mais examinons maintenant ce qui se
passe si on retarde cette contrepartie indéfiniment au possible. 

La relance

Supposons que l'Etat dépense plus en s'endettant une année, et laisse
ensuite cette dette s'accumuler avec ses intérêts. La dette s'accroît
donc exponentiellement et mange les capitaux disponibles. Les taux
d'intérêts réels augmentent, les investissements et la croissance
diminuent et le chômage s'accroît (au niveau mondial). Ainsi il est
de plus en plus illusoire de s'imaginer pouvoir rembourser. Et comme
les investissement ne peuvent physiquement pas descendre en-dessous
de zéro, la catastrophe est inévitable dans un délai limité.
Brusquement, les bons du Trésor ne vaudront plus rien ou bien
certains droits (genre "acquis sociaux" ou droits de propriété)
disparaîtront d'une manière ou d'une autre, les richesses du pays
devant être réquisitionnées en urgence pour rembourser la valeur de
ces bons. Ainsi, beaucoup de gens se découvriront moins riches qu'ils
ne le croyaient. La consommation diminuera brutalement et une
nouvelle crise de surproduction éclatera. Alors la plupart des
économistes du monde entonneront en choeur, plus fort que jamais, ce
joyeux refrain: "Relançons la consommation !" 

L'austérité

Comme peu de gens (à tort) semblent envisager le scénario ci-dessus,
mais pensent que l'Etat pourra rembourser, prenons un scénario où il
y fait face dans la durée (disons un sciècle) sans crise majeure, et
modifions-le en supposant qu'il économise quelques dizaines de
milliards de plus et laisse ce surplus s'accumuler indéfiniment par
capitalisation (d'abord capitalisation par défaut = moins de dettes
et d'intérêts à payer), toutes choses étant égales par ailleurs.
Alors, cela finira par rembourser totalement les dettes de l'Etat,
puis une épargne d'Etat apparaîtra. Supposons de plus (utopie ?) que
l'Etat aura encore la force psychologique de résister à la tentation
de manger immédiatement cette épargne ou tous les intérêts qu'elle
apporte, mais qu'il laissera pendant un certain temps s'accumuler (au
moins en partie) ses intérêts. 

Si cela a un poids au niveau mondial, ce sera comme on le disait plus
haut, une hausse des investissements, de l'emploi et des salaires, et
une baisse des taux d'intérêts réels. Ainsi, les pays du Tiers-monde
pourront mieux se développer en investissant, car ils seront moins
accablés par les intérêts de leur dette. De plus, cette baisse des
taux d'intérêts rendra mieux envisageable (pour des jeunes de manière
générale) d'emprunter leurs moyens de subsistance pendant qu'ils font
leurs études, en attendant d'obtenir un emploi mieux rémunéré. Ceci
améliorera donc la mobilité sociale. Retenons en tout cas ceci:
l'épargne permet de rapprocher le taux d'intérêts et le taux de
croissance (le premier diminuant, le second augmentant). Si le taux
d'intérêts réel vaut plus du double du taux de croissance, c'est donc
que l'économie mondiale manque de capitaux, et que la mauvaise santé
de l'économie (chômage et faiblesse de la croissance) n'est pas une
chose totalement mystérieuse, car les gouvernements dans le monde
sont au moins fautifs de gaspiller les ressources de l'économie et
cela a bien une part de responsabilité dans ce marasme (sans exclure
que d'autres causes puissent s'y ajouter comme je disais au début). 

Si au contraire le poids d'un Etat épargnant n'est pas très important
sur le monde, et que cette épargne augmente sans que le taux
d'intérêts s'approche du taux de croissance, les intérêts de cette
épargne pourront progressivement se substituer aux impôts. Ainsi,
l'Etat et les services publics pourront finalement fonctionner sans
impôt. Un véritable paradis fiscal, qui serait à notre portée si on
le voulait vraiment ! (Ceci, d'autant plus que l'Etat qui le pratique
est de petite taille. Au fait, est-ce que ce n'est pas déjà comme
cela que fonctionnent certains Etats comme par exemple Monaco ?) 

Epilogue

Alors, relance ou austérité ? A vous de choisir... à moins qu'il ne
soit déjà trop tard pour cette fois. 
D'après le journal L'Express du 31 mars 1999 (titre: "Dépenses de
l'Etat: ces milliards que nous allons devoir payer"), si on ajoute à
la dette de l'Etat français la somme de tout ce que l'Etat s'est
engagé à payer à l'avenir (en particulier l'augmentation du poids des
retraites qui s'annonce), on obtient un chiffre supérieur à 500 000 F
par actif ayant un emploi. 
D'après le journal Alternatives Economiques (mars 1999) ainsi que de
multiples sources connues de tous, une partie
des Américains vivraient au-dessus de leurs moyens du fait que les
valeurs boursières seraient surévaluées au-dessus des valeurs réelles
des entreprises. 

Bref, gare à la <<surproduction>> !