petit exercice d'introspection
Francois-Rene Rideau
fare@tunes.org
Fri, 20 Aug 1999 06:53:29 +0200
Chers cybernéticiens,
durant une insomnie, je me suis livré à un petit exercice d'introspection.
En suivant l'inspiration de livres tels que "Vues de l'Esprit" de Hofstadter
et Dennett, je me suis concentré sur la notion de conscience,
et plus précisément sur la nature de la conscience,
et la façon dont elle aurait pu émerger au cours de l'évolution.
Jean Fourastié (dans "Essais de Morale Prospective"?) nous rappelle
comme notre conscience nous permet essentiellement d'avoir une seule
chose à l'esprit à un instant donné; il appelle cela la "pensée unique";
nous avons un "fil de pensée" (et encore, pas tout le temps), qui nous
permet de nous concentrer sur une seule chose à la fois.
Il semble donc que notre esprit possède un "centre de conscience",
qui soit un acteur de notre cerveau,
tel que les décrit Minski dans "La Société de l'Esprit";
cet acteur centralise le processus de pensée,
ce qui explique ce fil de pensée unique.
En mettant de côté la justification évolutionnaire d'un tel centre,
j'ai essayé d'en saisir la nature, et d'abord été intrigué
par le fait de penser des phrases en français:
pourquoi arrivé-je à penser des phrases, qui plus est en français?
Certes, l'évolution n'aurait pas pu coder spécifiquement le langage
en général, et encore moins le français, dans les gênes humains,
et pour les attacher spécifiquement à un quelconque centre de conscience!
J'ai alors essayé de déterminer les choses auxquelles je pouvais penser,
pour trouver un dénominateur commun qui explique la nature
de cette conscience.
Je peux penser à une phrase que je peux prononcer, et il est très important
pde noter que je prononce presque la phrase quand j'y pense:
mes cordes vocales se contractent, même si nul souffle ne les fait vibrer,
ceci au point que quand je pense à une chanson trop aigüe ou trop grave,
je peux me faire mal aux cordes vocales! Je peux penser aussi aux mouvements
de mon corps, principalement de mes mains et de leur palpation; je peux
penser à une image, mais d'une façon qui correspond à l'action de regarder
plutôt qu'au fait de voir; de même je peux penser à un son d'une façon qui
correspond à l'écoute plus qu'à l'entente, etc. Bref, ce à quoi je peux
penser, ce sont avant tout des actions de mon corps,
mais des actions potentielles, inhibées (au sens de Minski),
n'ayant pas lieu parce que dans une certaine mesure je me retiens.
Cela nous mène directement à la nature de la conscience
et à sa justification évolutionnaire:
la conscience est un lieu de décision d'actions à mener;
elle est unique et centralisatrice pour la simple et bonne raison
que nos actions doivent être coordonnées et focalisées pour être efficaces;
la pression de sélection évolutive implique qu'elle doit donc exister
sous cette forme chez tout être un tant soit peu évolué.
Maintenant, ce qui la rend si particulière chez l'humain,
c'est cette capacité d'inhibition, qui permet d'évaluer
des actions qui n'ont pas lieu, qui ouvre donc la voie au potentiel.
Je ne suis pas un spécialiste du monde animal, mais sans m'avancer beaucoup,
je peux supposer que les mammifères ont tous la capacité
d'inhiber leurs propres actions, avec pour symptôme l'hésitation,
ce que n'ont sans doute pas de nombreux invertébrés.
Mais la pensée nécessite la capacité de considérer non pas seulement
ses propres actions inhibées, mais aussi tout un univers
de contextes d'actions potentiels, de circonstances dans lesquelles agir;
là encore, le mécanisme d'inhibition est fondamental
pour permettre la sélection de circonstances à l'exclusion d'autres;
la mémorisation et la structuration ces circonstances d'action
de façon adaptable et efficace, est elle aussi explicable par l'évolution,
selon la pression de sélection en faveur de mécanismes permettant
une prise de décision adaptée aux circonstances changeantes
en s'appuyant sur l'expérience plutôt que sur les seuls réflexes innés.
Bref, voilà quelques conclusions auxquelles mène
un exercice d'introspection effectué au cours d'une insomnie.
J'espère qu'elles auront pour vous lecteur quelqu'intérêt;
je suis pour part satisfait d'avoir "résolu" (bien partiellement)
une question qui me tenait à coeur depuis un certain temps,
qui plus est par une méthode d'introspection!
Vive l'inhibition (jusqu'à un certain point)
qui nous permet de réflechir avant d'agir.
Réflexivement vôtre,
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